Le Lecteur du parc 2 - Impatience printanière


Le Lecteur assis regardait sans comprendre ses mains désespérément vides. Il était livide et manifestement d'humeur fâcheuse.

- Ca va ? T'es tout pâle ?
- J'ai froid ! J'étais censé naître "en même temps que le soleil"*, je te rappelle. Au lieu de ça, trombes d'eau et torrents de boue : tu parles d'un printemps ! Sérieux, ça caille dans ta mansarde !
- Je sais. Je suis désolée. Mais au moins, tu étais au sec là-haut. Et puis regarde : le soleil de ces derniers jours a quand même bien réchauffé tes os: tu t'affermis partout. T'as vu : là, et puis là.

Arborant un grand sourire, j'appuyais fermement mon index sur son torse et son genou, comme pour nous rassurer tous les deux sur l'intégrité de son corps. Ca tenait bien, mais cela ne suffisait pas à mon lecteur qui demeurait taciturne.

- N'empêche, j'ai froid ! C'est bien simple, si je n'entendais pas le chant du merle tous les matins avant 5 heures, je jurerais que je vieillis en cave !

Il m'agaçait avec ses jérémiades ! J'étais moi-même tendue par les temps de séchage qui s'allongeaient et me mettaient en retard. Ses lamentations ajoutaient au déluge de complications qui s'abattait depuis quelques jours. Mon sang ne fit qu'un tour et je réagis vertement à ce que je prenais pour un caprice malvenu.

- Mais c'est pas vrai ?! T'es pire qu'une rose, toi ! Même pas fichu d'avoir la patience des fleurs. Tu crois quoi ? T'es même pas fini. T'as même pas la peau sur les os, tout juste quelques tissus pour te donner du corps. Et tu voudrais déjà, toi, avoir le confort d'un édredon ? Non mais oh ! Je veux bien accélérer le tempo mais je ne peux pas aller plus vite que la musique ! C'est pas possible ça !? J'aime autant te prévenir, va falloir apprendre la patience : je te rappelle que ton destin est le même que celui des arbres et que les arbres ne font que ça, mois après mois, attendre !

J'étais furieuse et le fusillais du regard en attendant sa réponse. 
Mais le lecteur ne cilla pas et sa tête penchée sur ses mains en manque de livre me désarma. Il était là, fragile et suspendu sur ses mains qui s'étaient figées sur un livre absent. Il s'ennuyait et je mesurais son désespoir face à l'annonce de cette attente.

Je baissais les yeux, regrettant ma colère. 
- Tu sais, en juin, c'est exceptionnel toute cette pluie. Je n'avais pas prévu que ce serait si long ! D'ailleurs, Paris est très étrange avec l'eau qui affleure. Regarde.
Je lui montrais quelques photos de Paris inondé et il était curieux, repêché de son ennui. Quand il a vu les réverbères, je crois même qu'il a souri, comme s'il venait d'inviter un souvenir rien qu'à lui.








Alors en posant mon bras sur ses épaules inachevées, j'ai voulu, une fois encore, essayer de le rassurer :
- Regarde : j'ai récolté pour toi du jus de pivoines noires. On dit qu'il donne bonne mine.



Et puis — t'as vu ? —  Le livre que tu veux commence à prendre forme…




Mon lecteur s'apaisa en regardant son livre.
Je le laissais là, en plein soleil pour qu'il se chauffe encore. Par le velux ouvert, les rayons traçaient un chemin de lumière poussiéreuse jusqu'à son cœur de pétales.
Moi pour l'heure, dans la mansarde voisine, je lui cherchais des amis.


* Les références au Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupery seront fréquentes. Elles sont la toile de fond de la naissance du Lecteur du parc.

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