Hatra Funky Town / Les mondes réenchantés (3)



Troisième épisode suite au saccage de Hatra le 7 mars dernier
HATRA FUNKY TOWN
(Pour voir les épisodes précédents des mondes réenchantés :




C'était l'heure des aubes violines et Hatra sommeillait. J'aimais cette encre que j'avais parcourue de brumes matinales. Je l'aimais vraiment : les nuances lumineuses de son ciel, son toucher délicat, ses ombres passées. Je l'aimais et pourtant je savais : elle ne résisterait pas à l'assaut des barbares. Après le musée de Mossoul et le site de Nimrud, Hatra allait être attaquée et mon encre à coup sûr, subirait le même sort.
Effectivement, à cette heure sublime des aubes violines, précisément quand la ligne d'horizon exalte une renaissance, des hommes de trop de foi sont venus semer la mort dans la cité du Dieu Soleil. Entre ses murs de pierre taillée, une armée de démons furieux déferlait, pillait, raflait, démolissait, anéantissait... Épuration culturelle !





Je crus me souvenir qu'on avait retrouvé ici, une amulette du démon des démons des vents - le dénommé Pazuzu - et je me demandais si lui et son dragon étaient pour quelque chose dans cette folie destructrice. J'appris par la suite que cette soit-disant découverte était un fake, le fruit de l'imagination d'un scénariste des années 1970... Qu'importe, il y avait eu destruction de Hatra et j'avais besoin de faire renaître la cité parthe sur ma feuille de papier.
C'est alors que je tombais sur un texte découvert à Nimrud avant le tout récent carnage. Il expliquait qu'il fallait, pour protéger les grossesses des femmes d'Assyrie, fabriquer une amulette à l'effigie du démon. On devait pour cela, utiliser de la poussière provenant, justement ... du temple d'Ishtar !






Cette fois encore, j'invoquais donc la déesse qui, de divinité guerrière, se concentrait désormais sur ses fonctions amoureuses et sensuelles, pour maintenir comme il se doit l'équilibre du monde. Ishtar n'ignorait pas l'ambivalence qu'elle partageait avec le démon Pazuzu. Elle savait ses furies destructrices et sa bienveillance pour le ventre des femmes. Elle sortit donc l'arme fatale, celle qui faisait tant peur aux barbares de ce siècle : elle avait troqué son costume de reine de la nuit contre celui de femme féconde et, séductrice, opposa à la fureur de Pazuzu, son gigantesque cul, son ventre monumental. Rhââ Lovely !

Là, sur ma feuille, naissait une histoire qui commençait à me plaire : comme ce premier week-end de printemps sur Paris, elle annonçait le retour des bourgeons, des petites naissances multipliées, du pollen et de la sève.

Parce qu'à Hatra, cette nuit-là, au beau milieu de l'enclos du Dieu Soleil, la passion conjuguée d'Ishtar et Pazuzu fit crier les amants jusqu'à l'enchantement.
Ils chantaient ! Je vous jure qu'ils chantaient !
"De la musique !" ai-je hurlé malgré moi. De la musique... Cela faisait des semaines qu'on en entendait plus en terre de Daesh...




Intrigués, quelques divinités locales passèrent une tête en éclaireurs. Elles annonçaient l'arrivée du maître de céans : Shamash, Dieu du soleil. Il entra quand Ishtar, comblée, interrompait son chant.
Affamé de musique lui aussi, le dieu soleil se fit dj divin : il se planta devant les platines et envoya du son. Du son et encore du son, si fort et si puissant qu'on l'entendait jusqu'à Bagdad.


Alors, de Mossoul, de Nemroud, mais aussi du musée de Bagdad (un camp de réfugiés mémoriels qu'on venait de rouvrir), on vint jusqu'à Hatra pour écouter les notes, les voix, les mélodies, les instruments, les harmonies, les rythmes... Pour écouter le son, laisser les basses vibrantes gagner jusqu'au ventre et jusqu'aux membres...
Et danser. Danser comme à Rio, jusqu'à en perdre haleine !


Sur ma feuille de papier, c'était Hatra Funky Town et je jubilais : en dehors de la ville, les barbares se bouchaient les oreilles, au supplice de la musique.

 Hatra Funky Town. Encre, feutre, collage et acrylique sur papier torchon. 36 x 51 cm

Avec :
A Hatra, un nu en marbre étêté auquel j'ai donné la tête d'une autre sculpture (statue d'un homme et d'une femme d'Hatra) ; bas-relief du dieu soleil (2e S.), un aigle d'Hatra (musée de Mossoul), le Roi Sanatruq I (2e S), le lion et le roi d'un bas relief représentant le roi Assurbanipal I tuant un lion (7e S. av. JC.).
Ishtar, statuette en marbre (env. 2000 ans av. JC)
Pazuzu, reproduction réalisée pour le film l'Exorciste de William Friedkin (1973), d'après le roman du même nom de William Peter Blatty (1971)




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