"Deux tragédies parallèles"



Swanam,  abonné de Mediapart, a fort justement commenté mon billet d'hier: "Vous oubliez la Palestine dans vos exemples ; dommage cela ferait plus sens avec que sans !", me dit-il. La remarque est si juste qu'en la découvrant ce matin au petit déjeuner, j'en fus presque vexée.

De fait, comment ai-je pu si négligemment occulter la question palestinienne dans cette courte chronique qui prétendait dénoncer le gigantesque bordel de cette planète ; cette question-là précisément, au cœur du monde et au cœur du problème?
Pire ! Un rapide retour en arrière dans mes chroniques m'oblige à cette autocritique: en dehors de quelques papiers sur des détentions abusives, sur l'érection de murs et sur quelques destins individuels brisés, à l'exclusion de quelques pamphlets virulents contre Netanyahu, j'ai peu abordé la question israélo-palestinienne, pas pris clairement parti… en tous cas pas de façon globale.
Peur d'être taxée d'antisémite moi qui suis à des lieux des haines communautaires? Peur d'être lue et – honte ultime ! - d'être citée par des affreux, adeptes de Soral et Dieudonné? Peur de dire des conneries?
Sans aucun doute, mais cela n'excuse rien.

Je suis bien trop couarde sur ce sujet et je mesure la malhonnêteté de ce quasi silence.

Mais couarde je demeure, hélas !
Alors, pour dire le fond de ma pensée, je me cacherai derrière les mots d'un autre : ceux de l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf dans le magnifique roman Les Désorientés.
Je vais être un peu longue. C'est utile, je pense…
Surtout quand Netanyahou invite les Juifs d'Europe à venir gonfler les rangs des colons, jetant en Macchiavel de l'huile sur le feu.
Surtout quand des identitaires n'ont pour seules réponses à leurs humiliations en cours, qu'un obscurantisme sanguinaire et un chauvinisme borné.

Mais Chut ! Lisez plutôt.

Extrait d'une lettre d'Adam (de culture musulmane) à NaÏm (de culture juive). Tous deux plutôt laïcs. (in Les Désorientés d'Amin Maalouf)

"(…) Ce conflit qui a bouleversé nos vies n'est pas une querelle régionale comme les autres, et ce n'est pas seulement un affrontement entre deux "tribus cousines" malmenées par l'Histoire. C'est infiniment plus que cela. C'est ce conflit, plus que tout autre, qui empêche le monde arabe de s'améliorer, c'est lui qui empêche l'Occident et l'Islam de se réconcilier, c'est lui qui tire l'humanité contemporaine vers l'arrière, vers les crispations identitaires, vers le fanatisme religieux, vers ce qu'on appelle de nos jours "l'affrontement des civilisations". (…) C'est d'abord à cause de ce conflit que l'humanité est entrée dans une phase de régression morale, plutôt que de progrès.
(…)
Il y a objectivement deux tragédies parallèles. Même si la plupart des gens, chez les Juifs comme chez les Arabes, préfèrent n'en reconnaître qu'une. Les Juifs qui ont subi tant de persécutions et d'humiliations à travers l'histoire, et qui viennent de connaître au cœur du vingtième siècle, une tentative d'extermination totale, comment leur expliquer qu'ils doivent demeurer attentifs aux souffrances des autres ? Et les Arabes, qui traversent aujourd'hui la période la plus sombre de leur histoire, qui subissent défaite sur défaite des mains d'Israël et de ses alliés, qui se sentent bafoués et rabaissés dans le monde entier, comment leur expliquer qu'ils doivent garder à l'esprit la tragédie du peuple juif ?
Ceux qui, comme toi et moi, sont profondément sensibles à ces deux "tragédies rivales" ne sont pas très nombreux. Et ils sont – nous sommes – de tous les Juifs et de tous les Arabes, les plus désemparés. C'est vrai, il m'arrive d'envier ceux qui, dans un camp comme dans l'autre, se sentent capables de dire, sans état d'âme : "que mon peuple triomphe et que les autres crèvent !"
(…)"

Extrait de la réponse de Naïm à Adam (in Les Désorientés d'Amin Maalouf)
"Tu déplores que les tiens [Arabes] se retrouvent "déconnectés" de la conscience du monde, ou tout au moins de celle de l'Occident. Moi, je déplore que les miens [Juifs] soient aujourd'hui déconnectés de ce qui a été leur rôle historique le plus significatif, le plus emblématique, le plus irremplaçable : celui de ferment humaniste global. C'est cela notre mission universelle, la mission qui nous a valu d'être détestés par les fanatiques, les chauvins et tous les êtres obtus. Je comprends que l'on veuille devenir "une nation comme les autres", avec sa propre logique nationaliste. Mais dans cette mutation, quelque chose d'essentiel est en train de se perdre. On ne peut pas être à la fois farouchement nationaliste et résolument universalistes. (…)"

Merci @Swanam de m'offrir l'occasion de reprendre ces lignes. 
Elles disent, me semblent-il, ce qui nourrit les loups, ce dont se gave la bête immonde.



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