Encore un jour de deuil dans l'industrie

Combien étaient-ils, en ce milieu des années 1970, arrivés de loin, via Gibraltar, le bras tamponné et tout juste vêtus, venus tout exprès pour travailler ici, en cette usine chevronnée sise à Aulnay-sous-bois ? Combien étaient-ils, recrutés en Tunisie ou au Maroc, par des médecins mandatés par Citroën pour trouver une main-d'œuvre peu chère et robuste, âgée de 18 à 25 ans ?

A Aulnay, ils firent les trois huit sans même avoir le droit de se parler tant la cadence était infernale. Là, des contremaîtres - d'anciens colons parlant arabe - retrouvaient en cette occasion la puissance perdue avec la décolonisation. Les"Bougnoules" encaissaient…* 
La France, elle, était fière de ce fleuron de son industrie.
A Aulnay-sous-bois, on construisait "La Rose des Vents", cette cité dite des 3000 parce qu'elle compte 3000 logements sociaux. On voulait alors rapprocher les habitats des usines et l'on fermait les derniers bidonvilles. 
Le ghetto était à portée d'usine. Pratique.

Ce matin, vingt ans après la fermeture de l'usine Renault de Billancourt, PSA a confirmé ce qu'il démentait, cette rumeur qui depuis un an ôtait le sommeil des ouvriers d'Aulnay : 3000 emplois et 300 contrats intérimaires seront supprimés en 2013. Quant au site, il fermera bien en 2014 : l'affaire est planifiée depuis un moment ; le marché européen de l'automobile est en forte baisse.  
L'ex fleuron aulnaysien de Citroën était la plus grosse usine de Seine-Saint-Denis. Elle n'a eu droit qu'à un démenti de circonstance, pendant des mois, puis la claque ! "Un crime social", selon les Syndicats. Une catastrophe pour le 9-3, département le plus pauvre de France.

A ces 3000 d'Aulnay, s'ajoutent les 1400 PSA de Rennes et quelques 3600 emplois de structure (administration, recherche, commerce et développement). 
A ces 8000 de PSA, s'ajoutent encore, entre autres, ceux que doit annoncer aujourd'hui Sanofi : sans doute plusieurs centaines, à Montpellier et Toulouse surtout.

Blottis les uns contre les autres aux portes de l'usine d'Aulnay, coudes serrés, les futurs ex PSA d'Aulnay grondent. Leur voix brisée par les nuits d'angoisse s'est faite plus rauque, plus forte : "Assasins !". 
Parce que quelque chose se meurt : notre ère industrielle. Son agonie a commencé avec la disparition des Gueules noires, à peine plus d'un siècle après Germinal.

*Merci à Mediapart pour les très beaux portraits des PSA d'Aulnay.

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